Les protéines chaperonnes

Auteur: Florian Ronez  

1. Généralités

Les mécanismes cellulaires font intervenir des protéines et des enzymes qui interagissent entre elles et/ou avec des substrats pour assurer le fonctionnement de la machinerie cellulaire. Afin de pouvoir assurer leurs rôles biologiques, les protéines doivent présenter une structure tridimensionnelle définie. Les phénomènes impliqués dans le repliement des chaines polypeptidiques sont donc essentiels pour que les protéines puissent exercer leurs activités.

Au sein des cellules les conditions menant au repliement correct des protéines sont en général complexes. En conditions in vitro, un polypeptide purifié rencontre souvent des difficultés à atteindre seul sa conformation protéique active (Anfinsen & others, 1973). In vivo, les protéines en cours de repliement sont assez peu stables (Liberek et al., 2008). Le facteur déterminant est la séquence primaire en acides aminés qui va déterminer la capacité de la protéine à se structurer. Enfin lorsque les conditions environnementales s’éloignent des optimums requis par les protéines, phénomène appelé stress, leur structure peut être altérée.

Lorsqu’ils sont soumis à des conditions défavorables lors de leur développement, les organismes vivants mettent en place des systèmes d’adaptation. Différents mécanismes cellulaires de réponse au stress vont alors être induits et permettre l’adaptation des bactéries aux nouvelles conditions et assurer leur survie. Si l’on prend l’exemple des bactéries, parmi les mécanismes principaux mis en œuvre, on trouve : la régulation de la fluidité membranaire, la régulation du pH interne et la protection contre l’agrégation des protéines cellulaires.

Les chaperons moléculaires constituent une catégorie très large et hétérogène de protéines qui sont retrouvées dans tous les règnes du vivant. En absence de stress environnementaux dans les cellules vivantes, l’activité de ces protéines chaperonnes est principalement destinée au repliement initial des protéines nouvellement synthétisées permettant ainsi de leur donner une conformation active (Hartl & Hayer-Hartl, 2002). Contrairement aux mécanismes cellulaires principaux pour lesquels les interactions ont lieu entre protéines repliées et actives, les chaperons moléculaires ont quant à eux la capacité d’interagir avec les formes non repliées et/ou altérées d’autres protéines.

En plus de ce rôle dans le repliement des protéines nouvellement synthétisées, ces protéines chaperonnes exercent également de nombreux rôles dans le système de maintenance du protéome. En effet, durant leur évolution, les protéines sont devenues très sensibles aux changements dans leur environnement acquérant ainsi une faible marge de stabilité (Tartaglia et al., 2007). En conséquence, des modifications des conditions intracellulaires peuvent entrainer une altération des protéines. Les facteurs environnementaux ou encore l’encombrement moléculaire intracellulaire peuvent conduire à une perte de conformation initiale des protéines et aboutir à leur détérioration. Ces altérations ont pour effet de modifier la structure tertiaire des protéines et d’exposer en surface les régions hydrophobes normalement repliées à l’intérieur de la structure protéique. L’exposition de ces régions hydrophobes entraine une augmentation de l’affinité aspécifique des protéines altérées entre elles. Celles-ci peuvent alors se rapprocher et rentrer en contact, conduisant au phénomène d’agrégation des protéines.

Les chaperons moléculaires contribuent ainsi à la protection des protéines contre l’agrégation, à la ressolubilisation des agrégats protéiques (Schlieker et al., 2002; Mogk et al., 2003b) et à la restitution des conformations natives des protéines endommagées. Enfin les protéines chaperonnes peuvent également participer à la dégradation des protéines qui ont subi des modifications trop importantes et qui ne seront pas capables de retrouver leur état initial (Sauer et al., 2004).

L’activité des chaperons moléculaires est généralement effectuée par liaison de la protéine chaperonne à son substrat de manière non covalente, cette liaison est donc réversible et permet ainsi la libération des protéines correctement repliées avec la consommation d’une molécule d’ATP. Le repliement correct des protéines est primordial pour leur activité et un défaut de repliement, au sein d’une cellule, conduit très souvent à de graves conséquences. De nombreuses maladies telles que les amyloses, la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, ou encore le diabète de type 2, sont liées à un défaut dans le repliement des protéines cellulaire ou encore à leur agrégation (Stefani & Dobson, 2003; Stefani, 2004).

Il existe deux grandes classes de protéines chaperon, celles utilisant l’ATP, souvent pour la liaison et/ou le relargage du substrat (Tyagi et al., 2009) et celles ayant une activité indépendante vis-à-vis de l’ATP. Les protéines chaperonnes peuvent être présentes dans la cellule de manière constitutive, c’est le cas de celles impliquées dans le repliement des protéines nouvellement synthétisées. Mais de nombreuses protéines chaperonnes sont également produites en grande quantité lors d’un stress environnemental, comme les protéines ayant une activité tournée plus spécifiquement vers la protection contre l’agrégation. La plupart des chaperons moléculaires ont d’ailleurs été initialement mis en évidence suite au stress thermique, ce sont les protéines de choc thermique ou « Heat shock proteins ». Plus récemment, de nouvelles Hsp ont été mises en évidence et possèdent des caractéristiques étonnantes, en effet, elles n’interviennent ni dans le repliement des protéines ni dans leur prise en charge lors de leur dénaturation (Sauer et al., 2004). Ces Hsp peuvent reconnaitre des substrats correctement repliés et sont appelées protéines de triage car elles participent au contrôle qualité des protéines cellulaires.

2.     Les chaperons universels

Les chaperons universels sont des chaperons ATP dépendants. Leurs structures tertiaires et quaternaires ont été caractérisées afin de mieux comprendre leur mode de fonctionnement (Bukau & Horwich, 1998; Young et al., 2004). On parle de systèmes de chaperons universels car ils n’agissent pas seuls, le repliement des protéines est obtenu grâce à une coopération entre chaperons, cochaperons, chaperons présentant le substrat et chaperons permettant la réparation des protéines. Aujourd’hui deux grands systèmes de chaperons cellulaires sont bien connus : le système DnaK/DnaJ/GrpE et le système GroEL/ES.

a.      Le système DnaK/DnaJ/GrpE

DnaK, aussi connu sous le nom de Hsp70 chez les bactéries, possède deux feuillets β à son extrémité C terminale qui forment le site de liaison au substrat. Ce site est directement relié à deux boucles qui forment un canal dans lequel le substrat est transloqué et replié (Pellecchia et al., 2000). Ce domaine est capable d’interagir avec une autre chaine plus large et équipée d’un couvercle. Le mouvement de ce couvercle est contrôlé par un nucléotide relié au domaine de fixation de l’ATP qui permet ainsi soit de bloquer le substrat dans le domaine de liaison au substrat soit de le libérer pour en capter un nouveau (Mayer & Bukau, 2005; Vogel et al., 2006). Le rôle du cochaperon DnaJ est de stimuler l’hydrolyse de l’ATP pour accélérer les réactions. Le chaperon GrpE permet quant à lui d’accélérer les échanges entre ATP et ADP sur le site ATPase pour permettre de libérer le substrat correctement replié.

Certaines études tendent à montrer que des activités secondaires peuvent être assurées par les Hsp et leurs cochaperons. Par exemple GrpE serait aussi impliquée en tant que senseur de température. A haute température, cette dernière changerait la conformation de DnaK, le transformant ainsi en protéine chaperonne stabilisante (Grimshaw et al., 2001; Groemping & Reinstein, 2001). D’autres auteurs (Park et al., 2007) décrivent même une troisième activité, cette fois-ci de coopération entre DnaK et les protéases. Enfin, le système peut également avoir une activité coordonnée avec la Hsp ClpB pour aider à la ressolubilisation de protéines agrégées (Mogk et al., 2003a; Weibezahn et al., 2004).

La majeure partie du repliement des protéines suite à leur synthèse de novo est effectué par le système GroEL/ES. Seulement 10% à 20% des protéines synthétisées de novo sont repliées par DnaK qui est plutôt actif pour la réactivation de protéines dénaturées.

b.      Le système GroEL/ES

Le chaperon GroEL correspond à un oligomère de deux fois sept sous unités, organisées en un duo d’anneaux superposés qui forment ainsi une double cavité reliée par le plan médian. Un sillon hydrophobe entre deux hélices α sur le domaine supérieur a la particularité de posséder une grande flexibilité qui lui permet de se lier facilement aux substrats via leurs régions hydrophobes exposées en cas de stress.

La fixation de sept molécules d’ATP sur le domaine central entraine un changement de conformation de l’oligomère et permet ainsi le dépliement de la protéine substrat (Wang & Weissman, 1999). Le substrat linéarisé est alors transloqué dans la cavité centrale. Le cochaperon de GroEL est GroES, il constitue une sorte de couvercle qui permet ensuite de sceller l’enceinte de GroEL. La protéine substrat se retrouve alors en conditions hydrophiles permettant son repliement correct (Hartl & Hayer-Hartl, 2002, 2009; Young et al., 2004). La fixation de GroES déclenche également l’hydrolyse de l’ATP qui fournit l’énergie nécessaire pour un nouveau changement conformationnel qui permet le relargage du substrat replié (Weissman et al., 1995). Il est intéressant de noter que la compréhension de ce mode d’action, mis en relation avec la taille de la cavité, a permis de déterminer que GroEL/ES ne pouvait replier que les protéines d’une taille inférieure à 57 kDa (Houry et al., 1999; Sakikawa et al., 1999).

Tout comme le système DnaK/DnaJ/GrpE, le système GroEL/ES a d’autres potentialités au sein des cellules , certains auteurs ont en effet démontré la capacité de GroEL/ES à stabiliser les membranes, ce que l’on peut définir comme une activité de lipochaperon (Jkovacs et al., 1994; Török et al., 2001).

c.       La protéine de désagrégation ClpB

La protéine chaperon ClpB, aussi connue sous le nom de Hsp104 chez les levures et Hsp101 chez les plantes, fait partie des chaperons universels originaux n’ayant ni d’activité dans le repliement des protéines nouvellement synthétisées ni d’activité dans la prise en charge de protéines endommagée.

La caractéristique de la protéine ClpB est de posséder deux domaines de liaison de l’ATP qui sont indispensables pour la formation d’oligomères et l’activité de la protéine (Zolkiewski, 2006). Ces domaines nommés AAA sont caractéristiques des protéines de la famille AAA+ qui possèdent également des sites de liaison homologues.

ClpB est active sous forme oligomérique et forme alors un double anneau constitué de 8 sous unités, à la manière de GroEL. Les cavités de l’anneau supérieur et de l’anneau inférieur constituent les deux sites ATPases qui encadrent ainsi le pore central. Le mode d’action de la protéine ClpB est moins connu que celui de DnaK/DnaJ/GrpE et celui de GroEL/ES mais des études ont permis de mieux appréhender son fonctionnement. La région N-terminale serait impliquée, dans un premier temps, dans la liaison au substrat (Lee et al., 2003; Diemand & Lupas, 2006). Une fois le substrat transloqué, l’activité de ClpB serait, quant à elle, localisée au niveau du pore central (Weibezahn et al., 2004). En effet une modification par mutagénèse de cette cavité centrale conduit à une inactivation de l’activité de ClpB (Schlieker et al., 2004).

L’activité de ClpB est indispensable pour une survie des organismes à haute température et également lors d’exposition à d’autres stress environnementaux (Sanchez et al., 1992; Squires & Squires, 1992). Sanchez et Lindquist (1990) ont également montré une résistance aux chocs thermiques 1000 à 10000 fois supérieure en présence de ClpB par rapport à des mutants n’exprimant pas ClpB chez la levure. ClpB intervient plus tardivement que les systèmes DnaK et GroEL/EL lors d’un stress, dans le processus de désagrégation des protéines déjà précipitées en corps d’inclusion. Il y a toujours une coopération avec DnaJ/DnaK/GrpE car comme évoqué ClpB n’a pas d’activité dans le repliement à proprement parler mais est impliquée dans le dépliement (Glover & Lindquist, 1998; Goloubinoff et al., 1999; Zolkiewski, 1999; Mogk et al., 2003a; Cashikar et al., 2005).

Cette action synergique des Hsp permettant la désagrégation et la récupération d’activité a été étudiée chez la mitochondrie de Saccharomyces cerevisiae. En effet, ces dernières sont de bons modèles car la quasi-totalité des protéines mitochondriales sont codées dans le noyau, il suffit alors de bloquer la synthèse protéique pour observer le comportement et l’activité des mitochondries. De telles études ont montré une capacité des mitochondries, après une inactivation thermique sévère des protéines cellulaires, à récupérer l’activité de réplication de leur ADN mitochondrial (Germaniuk et al., 2002), leur traduction propre (Schmitt et al., 1995) et leur morphologie (Lewandowska et al., 2007). En absence de synthèse protéique la restauration d’activité est alors uniquement due à l’action des protéines chaperonnes présentes.

L’action conjointe de ClpB et DnaK est encore peu connue mais plusieurs auteurs ont proposé différents modèles. Le premier suggère que ClpB est capable d’induire un changement de conformation des agrégats permettant ensuite l’action de DnaK/DnaJ/GrpE (Ben-Zvi & Goloubinoff, 2001). Le second modèle radicalement différent propose que ClpB permet de rompre les corps d’inclusion en plus petits fragments accessibles pour DnaK/DnaJ/GrpE (Lee et al., 2003). Finalement d’autres études évoquent, au contraire une action préliminaire de DnaK directement sur les agrégats, DnaK transfèrerait des chaines polypeptidiques agrégées depuis l’agrégat jusqu’au pore central de ClpB dans lequel aurait lieu la désagrégation. Le polypeptide désagrégé pourrait alors être pris en charge par d’autres protéines de repliement (Weibezahn et al., 2004; Ziętkiewicz et al., 2006) tel que de nouveau DnaK/DnaJ/GrpE ou GroEL/ES.

Cette hypothèse récente est confortée par le fait que l’incubation d’agrégats avec DnaK permet de modifier les propriétés des agrégats alors que ce n’est pas le cas avec ClpB seul (Ziȩtkiewicz et al., 2004). Les mêmes auteurs ont par la suite démontré la capacité de DnaK à séparer des agrégats polypeptidiques déjà formés (Ziętkiewicz et al., 2006). Mais ces polypeptides restent agrégés sur eux-mêmes et n’ont pas la capacité de récupérer une forme native sans l’intervention de ClpB et son action dans la désagrégation de la chaine. Les interactions entre DnaK et ClpB sont primordiales et semblent très spécifiques, ce qui est confirmé par le fait que si ces deux chaperonnes ne sont pas issues du même organisme il n’y a pas de désagrégation possible ni in vitro, ni in vivo (Glover & Lindquist, 1998; Krzewska et al., 2001).

Les activités des systèmes DnaK/DnaJ/GrpE, GroEL/ES et ClpB sont complémentaires et fonctionnent de concert. Ces systèmes sont considérés comme étant les plus importants en conditions normales mais aussi lorsque la cellule est soumise à un stress qui entraine une augmentation de l’agrégation protéique.

3.     Les « small heat shock protein »

Les chaperons universels ne sont pas le seul type de protéines dont la synthèse augmente lors de stress thermiques afin de lutter contre l’agrégation protéique. Leur activité est accompagnée et soutenue par des cochaperons comme nous l’avons vu précédemment mais également par un autre type de protéines chaperonnes, les « small Heat shock proteins » ou sHsp.

a.      Caractéristiques générales

Les sHsp ont été mises en évidence in vivo lors de l’étude d’organismes soumis à des stress thermiques. La synthèse de sHsp est induite lors de stress et est liée à l’acquisition de la thermotolérence. Plus généralement, les stress susceptibles d’entrainer l’agrégation des protéines comme les stress acides ou les stress induisant une modification de la fluidité membranaire comme la présence d’éthanol sont susceptibles d’induire la synthèse de sHsp pour lutter contre ces modifications.

Les sHsp sont présentes chez une très grande variété d’organismes procaryotes et également eucaryotes, ce qui souligne leur importance sur le plan de la physiologie de la cellule (Narberhaus, 2002). Des sHsp ont ainsi été retrouvées chez des archaebactéries hyperthermophiles alors que ce n’est pas la cas pour des chaperonnes moléculaires comme GroEL/ES ou ClpB (Laksanalamai & Robb, 2004). Les sHsp ont été, principalement, étudiées chez les mammifères (Aquilina et al., 2003) et les plantes (Sun et al., 2002), un peu moins chez les micro-organismes. De plus, quel que soit le type d’organisme, les sHsp possèdent des localisations cellulaires diverses suggérant des fonctions variées. Les sHsp d’origine eucaryote et procaryote les plus étudiées sont indiquées dans le Tableau 1.

Tableau 1. Les différentes sHsp présentées dans l’introduction bibliographique et les organismes desquels elles sont issues.

sHsp

Organisme

Masse moléculaire (Da)

Hsp16.5

Methanococcus jannaschii

16452,0

Pfu-sHsp

Pyrococcus furiosus

20256,0

IbpA / IbpB

Escherichia. coli

15773,7 / 16325,8

Hsp16.3

Mycobacterium tuberculosis

16227,2

Hsp18

Oenococcus oeni

16937,8

HspA

Xanthomonas campestris

17703,7

Hsp17

Synechocystis sp.

16595,-

Hsp26 / Hsp42

Saccharomyces cerevisiae

23879,6 / 42817,0

Hsp20

Babesia bovis

20189,9

Hsp12.2

Caenorhabditis elegans

12264,8

Hsp16.9

Blé

16971,2

Hsp16.9

Riz

16939,1

Hsp17.5

Châtaignier

17481,8

Hsp27

Drosophile

23694,7

Hsp25

Souris

23013,8

αA et αB cristallin

Homme

19909,3 / 20158,9

La diversité des sHsp est grande mais leur unité commune est la présence d’un domaine caractéristique des protéines de l’ α-cristallin de l’œil des vertébrés (De Jong et al., 1998) et ainsi nommé domaine α-cristallin. Ce domaine jouant un rôle prépondérant dans l’activité des sHsp, les sHsp sont parfois appelées « α-Hsp » en référence à ce domaine α-cristallin. Le domaine α-cristallin est très conservé entre les espèces. On y retrouve en particulier un motif appelé GVLTL/GVLTVTV proche de l’extrémité C-terminale (Jobin et al., 1997; Narberhaus, 2002; Sun & MacRae, 2005). Ce domaine est connu pour être notamment impliqué dans l’interaction des sous unités de Hsp42 de Saccharomyces cerevisiae (Wotton et al., 1996).

Les organismes eucaryotes possèdent souvent un grand nombre de sHsp, avec par exemple, 31 gènes codant pour des sHsp répertoriés chez l’Homme et 65 gènes chez la vigne. Les végétaux semblent globalement posséder plus de gènes codant pour des sHsp que les animaux. On peut alors formuler l’hypothèse que les végétaux les utilisent pour résister aux multiples stress environnementaux auxquels ils sont soumis de par leur immobilité.

Généralement, la plupart des bactéries possèdent une ou deux sHsp mais certaines peuvent en posséder un plus grand nombre (Munchbach et al., 1999). De multiples sHsp ont ainsi été détectées chez les bactéries formant des nodules avec les plantes (Munchbach et al., 1999) comme par exemple chez les Rhizobiaceaea. Ce nombre ne semble pas être lié à la taille du génome des microorganismes, mais plus à la niche écologique des bactéries. Narberhaus (2002) suggère que les conditions de vie d’une espèce bactérienne ont un lien avec le nombre de sHsp présentes dans la bactérie. Cette hypothèse est appuyée par le fait qu’un grand nombre bactéries parasites intracellulaires, comme par exemple Chlamydia pneumoniae, ne possèdent pas de sHsp (Narberhaus 2002). En effet, au cours de leur croissance, ces bactéries ne subissent pas directement les effets délétères liés aux stress environnementaux. Cependant, il faut tempérer cette théorie car certaines bactéries comme Lactococcus lactis pourtant soumise à de nombreux stress dans le milieu lait ne possède pas de sHsp (Sugimoto et al., 2008).

Finalement les sHsp sont également ubiquitaires en terme de localisation cellulaire. Elles sont retrouvées dans le cytoplasme, le noyau, les chloroplastes, les mitochondries, le réticulum endoplasmique ou encore dans la membrane (Boston et al., 1996; Coucheney, 2005; Vitale & Boston, 2008).

b.      Structure et oligomérisation des sHsp

                i.            Propriétés structurales

Une des caractéristiques communes des sHsp est qu’elles présentent une masse moléculaire comprise entre 12 et 42 kDa, la plupart des sHsp ayant une taille comprise entre 14 kDa et 27 kDa. Le domaine α-cristallin contient environ de 80 acides aminés relativement conservés entre les espèces.

Les sHsp ont également pour principale caractéristique de ne pas ou de ne peu contenir de ponts disulfure dans leur structure, ce qui leur confère une grande flexibilité (Zhang et al., 2005b).

Les régions N-terminales et C-terminales des sHsp sont quant à elles très variables. Le rôle de ces régions a été étudié chez différents organismes en créant des protéines tronquées. Certaines études décrivent une implication de la région C-terminale dans l’activité des sHsp de murines et humaines (Takemoto et al., 1993; Lindner et al., 2000) mais la plupart évoquent la région N-terminale comme primordiale pour l’activité de chaperon moléculaire (Fu et al., 2005). En effet l’étude de la protéine Hsp18.1 du pois, grâce à des sondes hydrophobes, a démontré une hydrophobicité importante de la région N-terminale et une exposition de celle-ci lors des chocs thermiques (Lee et al., 1997) ce qui en ferait un bon site de liaison au substrat. Plus récemment, des auteurs ont montré qu’il existait une interaction entre la région N-terminale de Hsp18,1 et ses substrats (Jaya et al., 2009). Pour se faire ils ont utilisé une version de la protéine Hsp18,1 contenant dans différentes régions des acides aminés « photocrosslinkers » capables de créer des liaisons covalentes avec les substrats rentrant en contact avec Hsp18,1. L’analyse des complexes covalents sHsp/substrats formés a permis de mettre en évidence que la région N-terminale de Hsp18.1 avait eu de nombreux contacts avec la malate déshydrogénase et la luciférase suite à des dénaturations thermiques.

Ces régions N- et C-terminales sont également connues pour être impliquées dans la formation de structures multimériques. Plusieurs études ont mis en évidence ce rôle (Feil et al., 2001). Ainsi, il a été démontré qu’après avoir tronqué les régions N- et C-terminales de l’αB-cristallin humain, le domaine α-cristallin résultant n’est pas capable de former d’assemblage plus important que des dimères (Feil et al., 2001). L’analyse de Hsp16.9 du blé (van Montfort et al., 2001) a montré que sa région N-terminale constituait un site d’interface nécessaire aux assemblages oligomériques. Si l’on tronque la partie N terminale de la protéine Hsp26 de Saccharomyces cerevisiae seuls des dimères sont observés (Stromer et al., 2004). Des résultats similaires ont été obtenus pour diverses sHsp procaryotes (Leroux et al., 1997b; Studer et al., 2002; Fu et al., 2005) et eucaryotes (Merck et al., 1992). Enfin pour la sHsp de E. coli IbpB, l’absence des régions N- et C-terminale de la protéine conduit dans les deux cas à l’apparition de dimères de sHsp au lieu de larges complexes oligomériques polydisperses de 2 à 3 MDa (Kim et al., 1998a; Strozecka et al., 2011), ce qui indique une importance conjointe de ces deux régions.

            ii.            Oligomérisation

Une autre caractéristique commune des sHsp est leur assemblage sous forme de structures multimériques. La taille des multimètres est variable et peut être comprise entre 150 et 600 kDa chez les bactéries (Chang et al., 1996; Leroux et al., 1997b; Shearstone, 1999; Lentze & Narberhaus, 2004). L’unité d’association de base des sHsp apparaissant, la plupart du temps, comme étant un dimère (Haslbeck et al., 2005a). Certains auteurs rapportent la présence de trimères comme unités de base (Chang et al., 1996) chez Mycobacterium tuberculosis, mais de récentes études viennent contredire cette hypothèse (Kennaway et al., 2005), réaffirmant que le dimère est l’unité de base.

A l’heure actuelle, seules quelques structures oligomériques de sHsp ont été élucidées et présentent des formes d’anneau comprenant une cavité centrale (Haley et al., 2000; van Montfort et al., 2001). Dans tous ces cas, les sHsp possèdent une activité de chaperon moléculaire qui a été démontrée in vitro et in vivo dès lors que la sHsp peut s’organiser en forme oligomérique (Kuczynska-Wisnik et al., 2002; Weidmann et al., 2010).

Les complexes oligomériques de sHsp ont pour particularités d’évoluer en fonction des conditions du milieu. En effet de nombreux facteurs semblent influencer la taille des oligomères, comme le pH, la température et la concentration en sHsp dans le milieu (Bova et al., 1997, 2000). Cependant dans une condition donnée, les structures oligomériques des sHsp de bactéries sont généralement de taille bien définie comme par exemple pour Hsp16.5 de Methanococcus jannaschii (Kim et al., 1998b), Hsp16.3 de Mycobacterium tuberculosis (Chang et al., 1996), Lo18 (Hsp18) d’Oenococcus oeni (Coucheney, 2005) ou Hsp16.9 du blé (van Montfort et al., 2001). Seules quelques sHsp comme IbpB de Escherichia coli peuvent présenter plusieurs formes oligomériques simultanément (Van den Oetelaar et al., 1990; Shearstone & Baneyx, 1999).

Si l’on s’intéresse à la dynamique des oligomères, il semble même que dans certaines conditions de milieu la stabilité globale du degré d’oligomérisation ne soit qu’apparente et due à des échanges dynamiques constants et rapides (Van den Oetelaar et al., 1990; Bova et al., 1997). L’oligomère de sHsp serait en fait un lieu intensif d’échanges entre les sous unités de sHsp (Bova et al., 2000; Stengel et al., 2010) et ces échanges seraient d’autant plus important que la température augmente (Bova et al., 2002). Ces mécanismes ont notamment été étudiés avec la protéine Hsp18,1 chez le pois.

L’oligomérisation semble jouer un rôle important dans l’activité chaperon des sHsp (Lentze & Narberhaus, 2004). En effet, les oligomères et les sous unités de types dimères sont capables de se fixer aux substrats (Franzmann et al., 2005), mais seul le dimère d’αB-cristallin humain a jusqu’ici montré une activité chaperon seul (Feil et al., 2001). Dans la grande majorité des cas, aucune activité chaperon n’a été détectée lorsque l’on altère le processus d’oligomérisation des sHsp. Des études de mutagénèse menées sur la protéine Hsp17 de Synechocystis sp. (PC 6803) ont montré qu’une mutation induisant une perte de l’oligomérisation provoquait également une diminution de l’activité chaperon. A contrario, des mutations, n’entrainant pas de modification de l’oligomérisation, n’affectent que peu l’activité de chaperon moléculaire de Hsp17 (Giese et al., 2005).

Une étude suggère que l’αA et l’αB cristallin d’œil de vertébrés possèdent une forme oligomérique inactive et une forme oligomérique active. L’oligomère inactif serait un assemblage de dimères et la dissociation des dimères contribuerait à la formation d’un oligomère de monomère. Selon les auteurs cela pourrait conduire à la formation de patchs hydrophobes en surface de l’oligomère augmentant son hydrophobicité, et ainsi son affinité pour les substrats, activant ainsi l’activité de chaperon moléculaire (Benesch et al., 2008).

Le report des régions N-terminales de Hsp18,1 se liant à la malate déshydrogénase et la luciférase (Jaya et al., 2009) sur les structures quaternaires de la sHsp a montré que ces régions de fortes interactions ne sont pas exposées sur la structure oligomérique mais le sont bien plus sur les structures dimériques. Cela suggère à nouveau qu’une réorganisation de l’oligomère est nécessaire pour son activation.

Les sHsp Hsp12.2 et Hsp12.3 du nématode Caenorhabditis elegans sont un autre exemple qui met en évidence l’importance du lien entre l’oligomérisation et l’activité des chaperons moléculaires. En effet, ces dernières ne sont pas capables de former de larges oligomères. Elles adoptent seulement la forme de monomères ou trimères et ces formes n’ont pas d’activité chaperon (Leroux et al., 1997a; Kokke et al., 1998). Ce résultat suggère également que certaines sHsp peuvent être utiles sous d’autres formes que des oligomères. Dans ce cas on ne peut pas exclure une autre activité que l’activité chaperon.

c.       Activité et substrats des sHsp

Les protéines de type sHsp peuvent présenter plusieurs activités sur différents types de substrats. L’activité la plus décrite est l’activité de chaperon moléculaire qui consiste en la stabilisation de substrats protéiques. Plus récemment une autre activité appelée activité de lipochaperon a été mise en évidence. Cette activité qui n’a pas été mise en évidence chez toutes les sHsp consiste en la stabilisation de substrats lipidiques.

         i.            Activité de chaperon moléculaire

Les sHsp possèdent une activité de chaperon moléculaire, c’est-à-dire qu’elles ont la capacité de lutter contre la dénaturation et l’agrégation des protéines lors de stress, protégeant ainsi les protéines cellulaires.

Comme évoqué précédemment les sHsp ont pour particularité ne de pas posséder de réelle spécificité de substrat mais de reconnaitre tous types de protéines en cours d’agrégation. La grande variabilité des sHsp dans les différents règnes peut être à l’origine de cette absence de spécificité de substrat avec une reconnaissance pour toutes les protéines cellulaires endommagées. De nombreuses études ont en effet démontré l’activité in vitro de chaperon moléculaire des sHsp  sur de nombreux substrats comme la citrate synthase (Jakob et al., 1993; Haslbeck et al., 1999; Delmas et al., 2001; Lentze et al., 2003; Okochi et al., 2004; Coucheney, 2005), la luciférase (Lee et al., 1997; Kowalski et al., 1998), l’alcool déshydrogénase (Shearstone & Baneyx, 1999), la lactate déshydrogénase (Bigotti & Clarke, 2005) ou encore la malate déshydrogénase (Veinger et al., 1998; Large et al., 2009). In vivo, des études ont montré la capacité des sHsp à protéger les protéines cellulaires totales de E. coli lors d’un choc thermique (Yeh et al., 1997; Weidmann et al., 2010).

Les interactions entre les sHsp et leurs substrats restent méconnues du fait de cette absence de spécificité, cependant tout comme les autres protéines chaperonnes, les sHsp ont la caractéristique de reconnaitre les protéines en cours de dénaturation (Jakob et al., 1993).

L’agrégation des protéines est due à une exposition de leurs régions internes lors d’un stress, ce qui suggère que l’hydrophobicité de surface des protéines joue un rôle dans leur capacité à être prises en charge par les sHsp. Les hypothèses sur l’activité des sHsp font état d’une activation des oligomères de sHsp par la chaleur, ce qui contribuerait à la dissociation de l’oligomère en dimères exposant alors les parties hydrophobes de l’oligomère qui pourrait fixer ses substrats également hydrophobes. En effet, la protéine Hsp26 de Saccharomyces cerevisiae est connue pour être activée à haute température (43°C) et former d’importants complexes avec ses substrats en cours d’agrégation (Haslbeck et al., 1999).

Cette activation de Hsp26 coïncide également avec un phénomène de dissociation des oligomères en dimères. Nous avons vu que de nombreuses études révèlent que les formes dimériques ne sont pas les formes actives. Afin de valider cette hypothèse, une étude (Franzmann et al., 2005) a été réalisée sur une protéine Hsp26 recombinante capable de former des ponts disulfures entre toutes les sous unités. Cet oligomère stable n’a alors pas présenté de dissociation des dimères à haute température mais l’activité mise en évidence était du même ordre que la forme sauvage de la protéine. Les auteurs en ont donc conclu que la dissociation de l’oligomère en dimère n’active pas l’activité chaperon des oligomères.

Lorsque des réactions d’agrégations apparaissent au sein d’une cellule, les sHsp sont capables de s’associer aux protéines en cours d’agrégation pour les stabiliser formant ainsi des complexes solubles sHsp/substrats (Chang et al., 1996; Lee et al., 1997; Leroux et al., 1997a; Haslbeck et al., 1999). Ces complexes ont été décrits comme stables pendant la durée des chocs thermiques (Rao et al., 1993; Roy et al., 1999). Une étude a même montré qu’un oligomère de sHsp lié à son substrat était plus stable que l’oligomère seul (Stromer et al., 2004).

Contrairement aux autres chaperons décrits, les sHsp ont une activité chaperon ATP-indépendante. En effet, l’ajout d’ATP dans le milieu n’a ni d’effet positif ni d’effet négatif, sur l’activité des sHsp (Horwitz, 1992; Muchowski & Clark, 1998; Smỳkal et al., 2000). Les sHsp IbpA et IbpB de E. coli sont bien décrites (Allen et al., 1992). Elles ont une activité de chaperon ATP-indépendante et peuvent fonctionner en absence de chaperons universels comme GroEL/ES (Baneyx & Mujacic, 2004). Dans ce cas, elles protègent leur substrat contre l’agrégation mais ne permettent pas de retrouver une structure active. Pour cette raison ces sHsp sont considérées comme étant des protéines de présentation de substrat à d’autres chaperons moléculaires ATP dépendants capables d’effectuer le repliement dans une conformation active. Par exemple, IbpB est capable de stabiliser la malate déshydrogénase et la lactate déshydrogénase, et dès lors qu’un chaperon ATP dépendant est présent la récupération des activités enzymatique est possible (Veinger et al., 1998).

Aucune sHsp connue n’a démontré d’activité protéase contrairement à certains autres types de chaperons. La présence de sHsp comme IbpA ou IbpB au sein des corps d’inclusion chez E. coli permet même une diminution de l’activité des protéases cellulaires contre les corps d’inclusion (LeThanh et al., 2005). En effet, les sHsp joueraient plutôt un rôle dans la dissolution des corps d’inclusion in vitro et in vivo pour déboucher sur une récupération de ces protéines agrégées sous forme soluble. Il est intéressant de constater que plusieurs auteurs rapportent la présence de sHsp en grande quantité dans les fractions cellulaires insolubles depuis de nombreuses années (Arrigo & Ahmad-Zadeh, 1981; Nover et al., 1983; Collier & Schlesinger, 1986; Allen et al., 1992; Basha et al., 2004). En effet, il est paradoxal de retrouver une protéine sensée permettre de protéger de l’agrégation incluse dans un agrégat. Certains auteurs suggèrent que l’augmentation de la taille des complexes sHsp/substrats conduirait à la formation de ces coagrégats (Mogk et al., 2003b). Les complexes insolubles apparaitraient donc lors de la surcharge des sHsp par leur substrats (Jiao et al., 2005) ou encore lors de la prise en charge de protéines très endommagées en grand nombre lors de stress sévères. Les sHsp coagrégées avec leurs substrats semblent jouer un rôle dans la ressolubilisation des corps d’inclusion par d’autres chaperons ATP dépendants. En effet, lorsque IbpA et IbpB d’E. coli sont présentes dans un corps d’inclusion, la protéine ClpB permet la ressolubilisation des protéines agrégées et le système DnaK/DnaJ/GrpE le repliement de ces dernières (Mogk et al., 2003a, 2003b; Matuszewska et al., 2005). D’autres auteurs ont démontré un effet similaire chez S. cerevisiae (Cashikar et al., 2005; Haslbeck et al., 2005b). Le repliement des protéines agrégées est possible sans sHsp mais il est plus rapide et plus efficace lorsque les sHsp sont présentes dans les agrégats. Les mécanismes permettant d’améliorer la ressolubilisation de protéines agrégées restent inconnus mais certains auteurs proposent l’hypothèse que l’intervention des sHsp permet de diminuer les interactions hydrophobes inter-protéines et/ou le nombre de liaisons hydrogène intermoléculaires avec d’autres peptides agrégés. Ces interactions permettraient ainsi d’avoir des agrégats moins denses et moins solides (Mogk et al., 2003b) et de faciliter l’action de ClpB et DnaK (Liberek et al., 2008).

              ii.            Activité lipochaperon

Le rôle le plus connu des protéines de type sHsps est principalement lié aux protéines. Cependant les sHsps sont également capables d’interagir avec d’autres substrats comme les lipides. De récentes études ont permis de mettre en évidence la présence de sHsp associées aux membranes cytoplasmiques, comme par exemple IbpA et IbpB chez E. coli (Nishihara et al., 1998; Kitagawa et al., 2000; Laskowska et al., 2004), ou encore la protéine Hsp17 chez Synechocystis sp. dans les membranes des thylakoïdes (Horváth et al., 1998) et la protéine Lo18 dans la membrane d’Oenococcus oeni (Jobin et al., 1997; Delmas et al., 2001; Coucheney et al., 2005; Weidmann et al., 2010).

Hsp17 que l’on retrouve chez les cyanobactéries aurait un rôle prépondérant dans le maintien de l’intégrité membranaire et la protection du système de transport d’électrons PSII qui est l’élément le plus labile dans la membrane des thylakoïdes (Nitta et al., 2005). Des essais d’inactivation du gène hsp17 codant pour la protéine Hsp17 entraine une diminution significative de l’activité photosynthétique de Synechocystis sp. (Lee et al., 2000). Chez O. oeni, la synthèse de la sHsp Lo18 est induite par les stress thermiques mais également lors de la fluidification de la membrane par un agent chimique comme l’alcool benzylique : une fraction de la sHsp Lo18 est alors associée à la membrane (Delmas et al., 2001). Cependant, il est intéressant de constater qu’aucune sHsp associée à la membrane ne possède de domaine apparenté à un domaine transmembranaire ou à un peptide signal permettant leur inclusion dans les membranes (Nakamoto & Vigh, 2007). Il est donc improbable que les sHsp associées à la membrane le soit par une voie sécrétoire connue.

L’association des sHsp avec les membranes traduit une activité potentielle. En effet, des expériences réalisées chez Synechocystis sp. montrent que la protéine Hsp17 est capable de s’associer avec la membrane et de réguler sa fluidité. Cependant les mécanismes d’interaction restent à élucider. L’interaction semble se faire au niveau des lipides en phase fluide et plus spécifiquement de ceux chargés négativement (Török et al., 2001). Cette spécificité d’interaction d’une sHsp avec un type de lipide se retrouve également pour l’αB-cristallin (Tsvetkova et al., 2002) qui suggère des domaines membranaires ayant plus d’affinité pour les sHsp. Toujours en étudiant les membranes des thylakoïdes, et grâce à des mutants de la protéine Hsp17, des auteurs (Balogi et al., 2005, 2008) ont réussi à mettre en évidence l’existence de lipides produits en réponse à un stress thermique (ou lumineux) : les « Heat shock lipids ». Ces lipides appelés monoglucosyldiacylglycerol (MGlcDG) présentent la particularité de former des domaines membranaires ayant une grande affinité pour Hsp17. Ils auraient ainsi un rôle dans la reconnaissance des membranes par les sHsp.

Contrairement à l’activité de chaperon moléculaire, l’activité de lipochaperon semble s’exercer après dissociation de l’oligomère de la protéine Hsp17. Ce serait alors la forme dimérique de cette sHsp qui interagirait avec les lipides membranaires grâce à la partie N-terminale de Hsp17 (Balogi et al., 2008). Cette étude est confortée par des résultats similaires de dissociation des oligomères de Hsp16.3 avant fixation sur la membrane sur la membrane plasmique de M. tuberculosis (Zhang et al., 2005a).

4.     sHsp et bactéries lactiques : cas de la protéine Lo18

a.      Les sHsp chez les bactéries lactiques

Les bactéries lactiques peuvent vivre à l’état libre ou chez un hôte tel que l’Homme, mais que ce soit dans la nature ou dans le tractus intestinal elles sont soumises à de nombreux stress. Par exemple dans le tractus intestinal des mammifères, elles peuvent être soumises à des variations de pH, des stress oxydatifs ou encore des stress osmotiques et biliaires (Storz & Hengge-Aronis, 2000). Les bactéries lactiques sont aussi utilisées en industrie agroalimentaire et sont souvent distribuées sous forme de ferments. Pour réaliser ces starters, elles sont soumises à des stress thermiques et osmotiques lors de la congélation ou lyophilisation. Une adaptation rapide à ces stress est indispensable pour assurer la survie des bactéries lactiques. Et comme chez E. coli l’un des principaux mécanismes de réponse au stress des bactéries lactiques est la production de chaperons moléculaires.

Les bactéries lactiques sont très étudiées car elles ont un intérêt industriel. Ainsi de nombreuses bactéries lactiques sont séquencées ce qui permet d’identifier les séquences codant pour des Hsp. Le Tableau 2 présente une partie des bactéries lactiques possédant une ou plusieurs sHsp.

Tableau 2. Les bactéries lactiques et leurs sHsps (El Demerdash et al., 2003; Ventura et al., 2007; Capozzi et al., 2011a).

Bactérie Lactique

Taille du génome (Mb)

Nombre de sHsp

Bifidobacterium longum ATCC15687

2,38

1

Lactobacillus acidophilus NCFM

2,00

1

Lactobacillus brevis ATCC 367/JCM 1170

2,35

1

Lactobacillus casei ATCC 334

2,93

2

Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus ATCC BAA-365

1,90

1

Lactobacillus fermentum IFO 3956

2,10

1

Lactobacillus gasseri ATCC 33323/DSM 20243

1,90

1

Lactobacillus helveticus DPC 4571

2,10

1

Lactobacillus johnsonii NCC 533

1,83

1

Lactobacillus plantarum WCFS1

3,34

3

Lactobacillus reuteri ATCC 23272/DSM 20016/F275

2,00

1

Lactobacillus rhamnosus GG

3,00

2

Lactobacillus sakei subsp. sakei 23K

1,90

1

Leuconostoc mesenteroides subsp. mesenteroides ATCC 8293

2,04

1

Oenococcus oeni PSU-I

1,80

1

Pediococcus pentosaceus ATCC 25745

1,80

1

Streptococcus thermophilus LMG18331

1,79

2

Comme évoqué précédemment L. lactis ne compte aucune sHsp (Sugimoto et al., 2008) mais rares sont les bactéries lactiques n’en possédant pas. Cela souligne que d’autres mécanismes cellulaires peuvent compenser cette absence mais montre tout de même l’importance relative des sHsp. Les sHsp de S. thermophilus sont codées non pas sur le chromosome mais un plasmide qui est persistant chez la bactérie ce qui constitue un autre indice du rôle primordial des sHsp chez les bactéries lactiques (El Demerdash et al., 2003).

Cette importance par exemple a été mise en évidence chez L. plantarum. Des auteurs (Capozzi et al., 2011c) ont en effet montré qu’une souche mutante de L. plantarum n’exprimant pas Hsp18.5 présence une phase de latence importante après un choc thermique à 50°C. De plus la structure de la membrane apparait altérée en microscopie électronique. Au contraire, la surexpression de Hsp18.5 ou Hsp19.3 chez L. plantarum, conduit à une meilleure stabilité de la membrane lors de stress fluidifiants (Capozzi et al., 2011b).

Chez les sHsp des bactéries lactiques, on retrouve logiquement une grande conservation du domaine α-cristallin mais également de la courte région C-terminale. La région N-terminale présente elle aussi des régions conservées entre les différentes bactéries lactiques mais en ayant toutefois une grande disparité au niveau de leur longueur.

b.      Cas de la protéine Lo18 de O. oeni

La bactérie lactique Oenococcus oeni fait partie de la flore d’intérêt du vin. Elle est responsable de la fermentation malolactique, qui intervient après la fermentation alcoolique dans les processus de vinification (Nielsen et al., 1996). Les conditions de développement d’O. oeni dans le vin sont peu favorables : forte teneur en éthanol (12% vol/vol), pH acide (compris entre 3,5 et 4,0), basse température (15 – 18 °C), carence en nutriments, présence de composés soufrés toxiques, etc. La bactérie est pourtant capable de s’adapter à ces conditions défavorables et constitue un bon modèle d’étude de la réponse à de multiples stress chez les bactéries lactiques (Guzzo et al., 2000). L’un des mécanismes de résistance fait intervenir une sHsp nommée Lo18 et qui fait l’objet d’une étude approfondie.

Cette protéine de 18 kDa est fortement exprimée en réponse à de multiples stress comme un choc thermique (42°C), un faible pH (3,5), la présence d’éthanol (12% v/v) (Guzzo et al., 1997), ou encore d’alcool benzylique (Delmas et al., 2001). De plus les auteurs ont montré que la protéine est également induite en phase stationnaire de croissance et y est toujours détectée après 30h.

Des études biochimiques par « cross-linking » in vivo et in vitro suggèrent que Lo18 puisse exister sous forme de dimère, trimères, tétramères et une forme oligomérique de très haute masse moléculaire (Delmas et al., 2001). La protéine Lo18 possède une activité de chaperon ATP-indépendante. L’association avec une protéine en cours de dénaturation permet de protéger la protéine et de ralentir son agrégation (Delmas et al. 2001). L’activité de chaperon peut s’exercer sur la citrate synthase jusqu’à 60°C. Il a été suggéré que Lo18 comme les autres sHsp exerce son activité chaperon moléculaire lorsqu’elle est sous forme multimérique.

La localisation cellulaire de Lo18 a été étudiée par fractionnement cellulaire et immunocytochimie in situ. En présence stress thermique ou fluidifiant, les essais ont montré qu’une fraction de la protéine est associée de manière périphérique à la membrane par des liaisons faibles (Jobin et al., 1997; Coucheney et al., 2005). Récemment, il a été démontré que cette sHsp avait également une activité de lipochaperon, caractérisée par un effet rigidifiant sur la membrane en présence de la protéine à haute température (Coucheney et al., 2005).

5.     Bilan des interactions entre chaperons moléculaires lors d’un stress

Lorsque les protéines sont soumises à un stress léger, elles peuvent être prises en charge directement par les chaperons moléculaire ATP-dépendant de repliement comme GroEL/ES ou DnaK/DnaJ/GrpE et être repliées directement. Lors d’un stress plus intense, les sHsp peuvent compenser le nombre plus important de protéines nécessitant un repliement en stabilisant les protéines endommages sous forme soluble. GroEL/ES ne semble pas intervenir directement avec la sHsp IbpB mais c’est plutôt DnaK qui prend en charge les protéines protégées par IbpB et le transfert se fait ensuite au complexe GroEL/ES qui achève le processus de repliement sous forme active (Nakamoto & Vigh, 2007). D’autres exemples existent : en présence du complexe DnaK/DnaJ/GrpE, la citrate synthase prise en charge par un oligomère de Hsp25 de souris soluble peut retrouver son activité enzymatique (Ehrnsperger et al., 1997). Une récupération de l’activité de l’enzyme luciférase prise en charge par Hsp18,1 du pois a également été démontrée (Lee et al., 1997). Cette capacité à empêcher l’agrégation irréversible des protéines cellulaires pendant un stress permettrait de faire face à la surcharge de protéines à réparer constituant ainsi un tampon contre l’agrégation.

Lorsque le stress devient trop important et que tous les chaperons disponibles sont saturés les complexes sHsp/substrats précipitent, ces derniers deviennent alors un réservoir insoluble de protéines facilement extractibles et renaturables grâce à l’intervention de ClpB. Les corps d’inclusions sont toxiques pour les cellules (Horwich & others, 2002) et la coagrégation avec les sHsp constituerait alors la dernière stratégie des cellules pour assurer leur survie post stress.

Le complexe GroEL/ES étant principalement impliqué dans le repliement des protéines endommagées et exprimé fortement lors de stress thermiques, DnaK/DnaJ/GrpE prenant quant à lui part au repliement mais également à la désagrégation des corps d’inclusion avec ClpB, et enfin les sHsp exerçant leur activité de stabilisation des protéines en cours d’agrégation et coagrégeant avec ses substrats lors de stress sévères.

Copyright: Florian Ronez

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